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Délinquance végétale

  • Photo du rédacteur: Christine Chevron
    Christine Chevron
  • il y a 7 jours
  • 6 min de lecture



Pour les maniaques du désherbage, les névrosés de la pelouse tondue de frais et de la haie taillée au carré, le jardinage prend parfois des allures de guerre. Loin du plaisir d'écouter pousser les fleurs, ils échafaudent au jardin des plans d'extermination machiavéliques avec une joie cruelle. Malheur à la mauvaise herbe qui osera s'y aventurer. On tue, on éradique, on piétine, on coupe, on décapite, on fauche, on arrache, on cisaille et on chasse quiconque s'enhardit à pousser là où on ne l'a pas invité. Tout en haut de la liste noire des jardiniers, il en est une dont on ose à peine prononcer le nom, qui sonne comme une malédiction. Accusée de pollution pollinique et de contribuer au trou abyssal de la Sécu, l'ambroisie (Chuuuut ! Moins fort, s'il vous plait !) est devenue l'ennemi public végétal n°1, à éliminer par tous les moyens. Partout fleurissent des arrêtés préfectoraux ordonnant son éradication, coûte que coûte. Abritez-vous « Qui-vous-savez »dans votre jardin ? Votre voisin envieux vous dénoncera pour avoir hébergé une réfugiée hors-la-loi et le Maire de votre commune vous obligera à l'arracher vous même ou à faire exécuter la sale besogne à vos frais ! Des hordes de collégiens endoctrinés participent eux-aussi au génocide, encadrés par des enseignants de la République. Et si, avant d'obéir aveuglément aux ordres et céder à la folie meurtrière, on lui donnait au moins une chance de s'expliquer ? Elle a accepté de me parler au péril de sa vie depuis l'endroit où elle se cache. Mais ne croyez pas que je vais vous dire où je l'ai trouvée ! Ambroisie n'a pas l'allure d'une serial killeuse. C'est une jolie plante à feuilles découpées, à la façon de l'armoise, sa vertueuse cousine. Grande, élancée, elle était la nourriture des dieux de l'Olympe, et rendait invincible quiconque en mangeait. « Bonjour Ambroisie, pourquoi votre tête est-elle mise à prix ? De quoi vous accuse-t-on au juste ?- Mon crime ? Mes pollens déclencheraient d’impitoyables allergies chez l'humain, provocant, rhinites, toux, eczémas, urticaire, asthme et j'en passe. Je menacerais la santé publique, je contribuerais à l'absentéisme au travail et coûterais une fortune au contribuable. Je ne suis pourtant pas bien exigeante. La vérité, c'est que plus personne ne peut pousser dans des sols aussi détruits, je suis la seule à pouvoir reconquérir ces terres abîmées par l'urbanisation ou l'agriculture intensive. Et puis, je m'efface devant la concurrence d'autres plantes ! Originaire d'Amérique du Nord, je m'épanouis dans les friches industrielles, les terrains vagues, les chantiers et les talus routiers. Mais je suis de plus en plus présente dans les jardins, arrivée là par les mélanges de graines pour oiseaux. La pollution aux particules fines, le CO2 et le dioxyde d'azote démultiplient les effets allergisants de mes pollens, fragilisant de plus en plus le système immunitaire humain. Mais peut-être est-il plus simple de trouver un bouc-émissaire plutôt que de remettre en question votre mode de vie ? » Toute cette délinquance végétale serait-elle le reflet de nos égarements ? Parmi les indésirables du jardin, la ronce ne se présente pas toujours sous son meilleur jour et m'aborda de façon plutôt brutale. Alors que je flanais le nez au vent, elle m'attrapa vicieusement le pied avant de me jeter à terre, déchirant du même coup ma jolie veste toute neuve, avant de me lacérer les doigts de ses farouches épines que je tentai d'oter de mes vêtements...Ma main toute égratignée de rouge cria alors vengeance et, armée de mon sécateur le plus aiguisé, se préparait à lui faire un sort !- Pitié s'écria alors la ronce ! Je ne voulais pas vous faire mal (là, j'ai eu un peu de mal à la croire), laissez-moi vous prouver que je suis une bonne plante ! Je vous ferai profiter de mes vertus !- Ah oui ? Et pourquoi te laisserais-je la vie sauve ?- Epineuse question ! Je suis un peu sur la défensive, il ne faut pas m'en vouloir. J'abrite de petits rongeurs et je sers de nourriture aux oiseaux, aux renards et même aux chevreuils qui sont friands de mes feuilles. Les jeunes pousses d'arbres peuvent grandir à l'abri de mes épines sans crainte d'être mangées, et lorsqu'elles sont assez fortes, je m'éclipse ailleurs pour leur laisser la place. Mes tanins font de moi une plante astringente, anti-diarrhéique et vaso-contrictrice. On peut m'utiliser en cas d'insuffisance veineuse, d'hémorroides, mais aussi pour soigner les angines, les stomatites ou la gingivite. Autrefois, les femmes se servaient de moi pour tonifier l'utérus lors de grossesses épuisantes. Mes bourgeons sont très utilisés en gemmothérapie. Quant à mes fleurs, elles sont appréciées des abeilles. Et que dire de la saveur de mes fruits ? Préparés en liqueur, en gelée, ou comme simple dessert, ils vous raviront par leur qualités gustatives !- Me laisserez vous en juger par moi-même ? lui demandai-je en cueillant la petite drupe noire ? Depuis, la gourmandise a eu raison de ma colère et je me délecte chaque année d'un délicieux cake aux mûres pour le goûter. La ronce a l'amour vache, mais gagne à être connue pour qui sait regarder au delà des apparences. Il est une autre plante considérée comme une peste végétale, une immigrée aussi, arrivée tout droit du Japon. Elle pousse dans les les endroits humides, le long des rivières, mais aussi des voies ferrées. C'est la Renouée du Japon. Voici ce qu'elle m'a confié un soir où je prenais le frais au bord du ruisseau. « Je me suis installée ici au Moyen-âge où l'on vantait alors mon élégance et le parfum de mes inflorescences. Mais depuis quelques années, j'ai perdu mes charmes et me voilà accusée de tous les maux. - Pourquoi un tel désamour ?- J'ai peut-être voulu prendre un peu trop de place et les autres espèces indigènes ne supportent pas ma présence, je les fais fuir. Il paraîtrait même que je leur suis toxique.- Qu'est-ce qui vous a poussé à vous étendre ainsi ?- Que voulez-vous, j'aime tant les sols pollués par les métaux lourds, surtout l'aluminium. Ici je me régale, c'est un véritable festin. Au Japon, j'ai été habituée à des conditions de vie très rudes car je poussais sur le flanc des volcans.- Et comment faites-vous pour vous multiplier ?- Ici je n'ai pas de reproduction sexuée. - Comme je vous plains !- Je me multiplie exclusivement par mon rhizome et me développe dès qu'il y a présence de métaux lourds.- Vous voulez dire que dire que l'endroit où nous sommes...- Etait autrefois la décharge municipale ! Je comprends que ma présence qui révèle un sol pollué soit insupportable. Mais savez-vous que je recèle une propriété qui intéressera bientôt les habitants de cette région ? Ceux-là mêmes qui prônent mon éradication !- Ah oui ?- Un chercheur herbaliste nommé Buhner a mis au point un protocole de soin pour les personnes souffrant de la maladie de Lyme et j'y tiens une place de choix qui pourrait bien redorer mon blason !- Et quelle partie utilise-t-on ? Dans ce cas, ce sont précisément mes racines séchées qui seront efficaces. Mes vertus sont déjà largement connues en Asie. Dans les régions où je suis particulièrement présente, la maladie de Lyme a pris une ampleur considérable et touche de plus en plus de personnes. - Vous voulez dire qu'il y aurait peut-être un lien entre votre présence et la maladie ?- Je veux dire qu'avant de m'arracher sauvagement les rhizomes, il serait bon de s'interroger un peu sur les raisons de ma soudaine exubérance dans une région où la maladie se développe. Il commençait à faire sombre et je n'ai pas vu le buisson d'orties devant moi avant de plonger dedans.- Eh là, vous me marchez sur la tête, faites un peu attention !- Ce n'est pas une raison pour me piquer, je n'ai pas fait exprès ! Mais dites-moi, Ortie, je voulais vous demander. Êtes-vous toujours considérée comme une mauvaise herbe, vous aussi ?- Je suis en voie de réhabilitation. Je dois dire que de plus en plus de gens connaissent mes propriétés reminéralisantes, et beaucoup de jardiniers retraités arthrosiques m'utilisent même pour revigorer les plantations de leur jardin ou pour abriter les insectes. Je suis devenue à la mode en cuisine où l'on me prépare de bien des manières. Même si on limite mon expansion, les gens me réservent en général un petit coin de jardin où je suis tranquille.- J'en suis heureuse pour vous. C'est de bon augure pour vos collègues persécutées. »- Il faut savoir piquer la curiosité de l'humain pour qu'il s'intéresse à nous ! » Derrière chaque présence végétale envahissante, un message hurlé silencieusement attend patiemment qu'on veuille bien l'écouter. Saurons-nous l'entendre ?


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