đł Lettre du ChĂȘne Ă lâhumanitĂ©
- Christine Chevron
- 2 juin
- 3 min de lecture
RĂ©cit dâun promeneur assis Ă lâombre dâun vieil arbre
Cela faisait des semaines que je venais mâasseoir lĂ , au pied de ce chĂȘne. Toujours le mĂȘme. Toujours ce tronc large comme une Ă©treinte oubliĂ©e, cette Ă©corce rĂȘche, sillonnĂ©e comme les paumes dâun vieil ami. Je venais sans raison prĂ©cise. Peut-ĂȘtre par fatigue du monde, ou par besoin dâun silence qui ne juge pas.
Un matin dâĂ©tĂ©, plus chaud que les prĂ©cĂ©dents, je mâadossai contre lui avec un soupir. Mon dos contre son dos. Mon souffle un peu court. Mon cĆur un peu flou. Et puis⊠je lâai entendu.
Pas un bruit, non. Pas une voix. Mais une pensée, claire comme une source. Elle ne venait pas de moi. Elle venait en moi.
« Tu tâassieds souvent ici. Mais as-tu seulement remarquĂ© combien je veille sur toi ? »
Jâai souri intĂ©rieurement. Sans surprise. Comme si je savais quâun jour, cela arriverait. Jâai fermĂ© les yeux, et jâai laissĂ© la pensĂ©e sâĂ©panouir.
« Je suis lĂ depuis bien avant tes pas. Jâai vu passer les saisons et les visages. Les guerres et les amours. Les promesses, et les oublis. Je suis le veilleur des cycles, enracinĂ© dans la mĂ©moire du monde. »
Un frisson mâa traversĂ©e. Pas de peur. De reconnaissance, peut-ĂȘtre.
« Vous autres humains, vous cherchez Ă grimper toujours plus haut. Mais sans racines, la cime nâest quâune chute annoncĂ©e. Moi, je plonge dans la terre pour parler au ciel. Je relie. Je retiens. Je nourris. »
« Sous mes branches, dort le peuple discret : les insectes, les oiseaux, les champignons, les Ă©cureuils. Je les abrite. Je ne prends rien. Je donne. MĂȘme quand on me coupe, je repousse. Câest ma façon dâaimer. »
« Parfois, je me souviens de ceux qui mâont aimĂ© en silence. Il y a bien longtemps, un homme est venu sâabriter dans le creux de mon tronc. Il sâappelait Bernard. CâĂ©tait un moine, ou peut-ĂȘtre un fou, selon les langues des Ă©poques. Il vivait lĂ , dans le silence de mon ventre, priant entre les chants dâoiseaux et les souffles de vent. Je lâai abritĂ© comme un enfant fragile. Et lui, en retour, mâoffrait ses silences pleins de lumiĂšre. »
Jâai entrouvert les yeux. Les feuilles dansaient doucement, tamisant la lumiĂšre comme un vitrail vivant. Le vent portait quelque chose dâancien.
« Je suis le seuil. Le pilier. Le druide silencieux. Jadis, les humains le savaient. Ils venaient me consulter, non pour obtenir des réponses immédiates, mais pour apprendre à attendre les vraies questions. »
Un bourdon est passĂ© prĂšs de mon oreille. Je ne lâai pas chassĂ©. JâĂ©tais ailleurs, avec lui.
« Tu viens ici fatiguĂ©e, usĂ©e parfois, brĂ»lĂ©e par les attentes. Mon Ă©corce soigne les corps Ă©puisĂ©s. Mon bourgeon ranime ceux qui ont trop portĂ©, trop longtemps, sans sâĂ©couter. Mon essence soutient ceux qui ne savent pas poser le fardeau. »
Un silence a suivi. Long et paisible. Puis encore une pensée, plus douce :
« Toi qui me lis, toi qui entres sous mon ombre, rappelle-toi :Ne cours pas sans racine.NâĂ©lĂšve rien sans lien.Ne rĂȘve pas seul.Et quand tu oublieras, reviens. Je serai lĂ . »
Je suis restĂ©e longtemps assise. Le monde nâavait pas changĂ©, non. Mais en moi, quelque chose avait germĂ©. Et je suis repartie, un peu plus enracinĂ©e, un peu plus debout.
đż Ăcoute...
On dit que les arbres ne parlent quâĂ ceux qui savent se taire.Quâils murmurent Ă qui pose son front contre leur Ă©corce,quâils enseignent Ă qui accepte de ralentir.
Si un jour, en forĂȘt, vous ressentez un calme Ă©trange, une prĂ©sence familiĂšre, une impression dâĂȘtre vu sans ĂȘtre jugé⊠peut-ĂȘtre que ce sera lui.Peut-ĂȘtre quâun chĂȘne vous parlera.
Prenez le temps dâĂ©couter.Et sâil ne dit rien, alors⊠reposez-vous. Il veille.
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